En novembre 2017, peu de temps après avoir perdu mon emploi, un événement qui a entraîné une série d’épisodes rocambolesques dans ma vie, je me suis retrouvé au département psychiatrique de l’hôpital général de Vancouver. On m’a alors appris que mon antidépresseur était en partie responsable de mes comportements inhabituels. Puis on m’a prescrit du lithium, une substance dont j’avais seulement entendu parler avec l’histoire de Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana qui s’était suicidé avec une arme à feu. J’ai alors compris que je devrais prendre des mesures drastiques pour retrouver un certain équilibre mental et une vie normale
Après avoir poireauté dans le sous-sol de mes parents pendant quelques mois, à peinturer et à perdre du temps sur les réseaux sociaux, je sentais mon corps gonfler par trop d’inactivité. Ma dépression était de retour en force et j’avais besoin de quelque chose pour me changer les idées et me motiver. Une sorte d’aventure physique exigeante pour retrouver la forme physique que j’avais jadis atteinte en faisant des compétitions de natation à l’école secondaire. J’avais besoin de quelque chose qui touchait à chaque élément fondamental de la littératie physique : la compétence, la confiance, la motivation, le savoir et la compréhension. Quelque chose de bien plus efficace que de faire du jogging de temps en temps.
Cependant, comme la plupart des emplois ne me permettraient pas d’y arriver, et que la majorité des offres d’emplois que je consultais impliquaient d’être sédentaire à un bureau 40 heures par semaine, c’était un désastre annoncé. J’ai alors pensé au rafting. Quand j’étais jeune, j’ai descendu la majestueuse rivière Thompson à Lytton, la troisième rivière de rafting la plus populaire au monde, et j’ai pendant longtemps rêvé de devenir guide comme ces étrangers enjoués qui avaient piloté mes rafts il y a des décennies. De 17 à 27 ans, je planifiais chaque été de m’inscrire à l’école de guides de rafting, mais je trouvais toujours une excuse pour ne pas le faire : un nouvel emploi, une nouvelle petite-amie ou pas assez d’argent. Mais m’étant soudainement retrouvé avec aucun empêchement, je n’avais juste plus d’excuses. J’ai appelé Braden Fandrich, l’un des propriétaires de Kumsheen Whitewater Rafting, et j’ai fait un dépôt pour réserver ma place. J’avais alors 33 ans et j’étais prêt pour un changement de carrière.
Une fois le processus amorcé, j’ai pu développer mes habiletés en descendant six rivières différentes pendant les 12 longues journées épuisantes de l’école de guides. En plus d’apprendre les techniques appropriées de rame et d’aviron, j’ai aussi appris comment faire certains types de nœuds, je suis devenu expert au lancer du sac de sauvetage, et j’ai même nagé dans des rapides. Bien que je n’étais pas au meilleur de ma forme, j’étais confiant que les habiletés aquatiques que j’avais développées à l’enfance me seraient utiles. Et finalement, même si les rivières ont vraiment eu le dessus à plus d’une occasion, je ressentais à nouveau une sensation inhabituelle : la peur.
Et c’est alors que Braden a fait son discours.
« Il y a une chose que j’ai apprise en faisant du rafting, et j’imagine que c’est comme ça avec les autres sports extrêmes : quand vous avez peur ou que vous vous sentez dépassés, vous pouvez soit vous laisser affaiblir par cette peur, soit vous en inspirer pour vous renforcer » nous a-t-il dit.
Il tenait son aviron sur sa hanche, assis calmement dans une combinaison isothermique alors que nous descendions la rivière Nicola. « Ce que je veux dire, en fait, c’est que vous pouvez choisir d’en sortir encore plus fort. »
Ça a été la première habileté majeure que j’ai apprise et qui me serait utile dans ma vie de tous les jours : la gestion de la peur. Ça correspond à l’une des plus importantes composantes de la littératie physique, la confiance, et je m’en suis profondément inspiré. Et cet été, une fois embauché chez Adams River Rafting de Scotch Creek et faisant un parcours d’une heure impliquant un rapide de classe 3 appelé le Canyon, je suis devenu très habile à reconnaître les moments où j’avais peur et à catalyser cette énergie de façon productive.
J’étais alors déjà en train de développer deux autres composantes de la littératie physique, le savoir et la compréhension. J’ai parlé plusieurs fois des manœuvres à effectuer pendant ces 35 secondes avec mon patron, Clif Garcia, pour déterminer comment donner chaque coup d’aviron et compenser pour les forces que je ne contrôlais pas. Je me suis retrouvé encore et encore devant des vagues que je ne pensais absolument pas pouvoir surmonter, et chaque fois, je prenais une grande respiration et je le vivais à fond.
Dans le fond, l’eau n’est qu’un élément, et faire une descente de rivière réussie est bien plus lié à votre capacité de garder votre sang-froid qu’à l’aspect effrayant de tout ce débit d’eau.
À la fin de l’été, j’avais descendu la rivière Adams River près de 100 fois. J’ai vu ma peau bronzer, mes cheveux blondir, et j’ai perdu du poids. Ce n’est pas seulement le temps passé sur la rivière qui me maintenait en forme; il y avait aussi les tâches plus banales comme le rangement des rafts sur les remorques, l’ascension de la falaise pour montrer aux clients où sauter dans l’eau, et le sauvetage des clients tombés à l’eau. Mon énergie est revenue, ma dépression s’est estompée, et j’ai ressenti une fierté grandissante attribuable à mes nouvelles habiletés. J’étais honnêtement bon à quelque chose, et cette pensée me faisait grand bien après avoir passé les derniers mois à ruminer les erreurs que j’avais faites. J’avais développé la motivation pour devenir le meilleur guide que je pouvais être.
Il y a aussi que je rendais les autres heureux, et ça me rendait heureux en retour. Chaque jour, quand je plaçais les nouveaux clients dans mes embarcations, je voyais des visages allant de 5 ans à 90 ans, aux parcours différents les uns des autres. Certains savaient nager, d’autres ne savaient pas comment pagayer. J’ai fait deux descentes avec l’athlète paralympique Josh Dueck, et une autre fois j’ai guidé la star de hockey Shane Doan et sa famille. Alors qu’une descente était pour un groupe de collègues de travail, la suivante était pour un groupe d’enfants du même camp de jour. Nous devions parfois faire des ajustements, comme lorsqu’un de mes clients avait perdu sa main gauche et devait changer de côté, mais nous avons toujours trouvé une solution pour que ça fonctionne. Si vous aviez le courage de venir descendre la rivière, nous avions le devoir de vous prendre sous notre aile.
À la fin de l’été, j’ai accepté un emploi avec Le sport c’est pour la vie à titre de rédacteur, intrigué par ce nouveau terme de « littératie physique » et curieux de découvrir s’il s’appliquerait à mon parcours. Bien que je manifestais des réserves au début, je suis éventuellement devenu entièrement convaincu en écrivant à propos des différentes histoires à succès et réussites que nous avons vécues en tant qu’organisation à but non lucratif. Des vies qui évoluent pour le mieux, que ce soit grâce à une équipe de hockey sur gazon qui ajustait ses pratiques pour être plus inclusive, à un gouvernement adoptant un mandat de vie active ou à un programme de hockey s’inspirant des principes du développement à long terme par le sport et l’activité physique. Ce qui m’a le plus impressionné est l’engagement de Le sport c’est pour la vie à passer de la parole aux actes, à s’assurer que le personnel est diversifié et à introduire des éléments actifs comme les bureaux debout et les réunions en marchant. Ils voulaient faire évoluer la culture d’entreprise et ça a commencé directement dans nos bureaux.
Dans notre publication phare Développer la littératie physique : Vers une nouvelle norme pour tous les Canadiens, Le sport c’est pour la vie présente un plan de match pour lutter contre la crise de l’inactivité. C’est une lutte à plusieurs dimensions, avec des implications différentes pour différents groupes d’âge et participants, qui nécessite un engagement à grande échelle. Ultimement, l’objectif est de faire en sorte que l’apprentissage de la littératie physique soit priorisée autant que celui des chiffres et des lettres et qu’elle reçoive la même attention. Quand il s’agit de santé mentale, d’après des recherches menées par des experts comme le Dr Guy Faulkner de l’UBC, il est de plus en plus prouvé que l’activité physique peut jouer un rôle important dans la prévention de problèmes de santé mentale comme la dépression et l’anxiété. Elles soulignent également que l’exercice et l’activité physique sont maintenant recommandés en tant que premiers recours pour le traitement de dépressions légères à modérées.
Alors quand est venu le temps de commencer la nouvelle saison de rafting, je savais quelle approche adopter pour demander des congés : j’écrivais un courriel à mes supérieurs pour leur expliquer que de retourner à mon poste de guide de rafting pour l’été serait « un moment marquant de mon parcours de littératie physique. » Je le disais un peu à la blague, mais j’étais aussi très sérieux. À Victoria, j’avais du mal à trouver une façon de faire de l’exercice sur une base régulière, et j’ai dû renoncer à quelques reprises à mon abonnement de CrossFit parce que je ne pouvais me le permettre financièrement. J’avais repris le poids que j’avais perdu l’été précédent, et je sentais ma dépression réapparaître. Elle s’était cachée dans les recoins de mon esprit, à attendre patiemment.
Mais dès le moment où je suis retourné sur la rivière cet été-là, toute cette angoisse s’est dissipée dans les airs. J’étais à nouveau dans mon élément, à blaguer avec les clients et à inventer des histoires. C’est comme si j’empruntais à nouveau mes propres routes flottantes et que je négociais chaque virage avec mon embarcation jaune flash. J’ai pratiqué chaque manœuvre encore et encore, réveillant mes bras de leur léthargie de huit mois, et j’ai savouré chaque moment à attaquer le Canyon. Je n’avais plus peur; je vivais le meilleur moment de ma vie. Par la suite, j’aimais me tenir debout dans la rivière, l’eau à hauteur des hanches, et respirer profondément l’air de la forêt lorsque les clients se détendaient sur la plage, me rappelant sans cesse à quel point j’étais chanceux d’être là.
Parfois, sauver la vie d’une personne est moins dramatique que de sauver quelqu’un d’un bâtiment en feu. Il peut simplement s’agir de leur montrer comment remonter correctement dans le raft sans aide, ou comment faire tous les nœuds et où accrocher les mousquetons pour créer un système de poulie « Z-drag ». Peut-être que c’est aussi simple que de leur donner une tâche, puis de leur dire comment la faire. Imaginez un système de santé mentale basé sur la littératie physique qui prescrit une dose de rafting aux patients qui se sentent perdus, suicidaires ou sans espoir. La prescription dirait « Temps de rafting – Min : deux étés », et viendrait avec un aviron.
Ça a marché pour moi.